Le 5 janvier 2014, Jean-Baptiste (que nous appelons JB), après un changement des plus minuté à l'aéroport de Delhi, débarque à Guwahati. Fraichement arrivé de France, Thyl et moi le plongeons tout de suite dans ce que l'Inde a de redoutable à offrir, la conduite en ville, le bruit, la vue de la misère, l'odeur qui traine autour de la gare et les démarches administratives d'obtention de billet de train. Et après 5h de train pour 113 km sur une banquette en dur, on le fait loger dans la première guesthouse qu'on trouve en sortant de la gare de Barpeta road à 20h. Et je dois dire qu'elle n'était pas des plus accueillantes, lits douteux, chiottes nauséabonds et salle d'eau inutilisable... elle avait l'avantage d'être la première, d'être encore ouverte et d'être très peu chère (ce fut ma nuit payante la moins chère de tout mon voyage), 350 Rupies indiens à 3 (5,5$ à 3).
Test par la confrontation réussi! JB est un sacré gaillard, bien adaptable. En tant que voyageur, JB est adopté!
Il est peu sur les photos, c'est lui le photographe en chef.
Nous avions prévu une journée relaxe, avec la visite du parc national de Manas. Sur place, nous apprenons qu'il faut compter deux jours pour se rendre sur place, visiter et revenir. Nos billets de train en poche avec un départ à 1h du mat la nuit suivante ne nous laisse pas le choix. Ce sera une journée d'errance dans la ville, sans grand intéret, qu'est Barpeta Road. Le cinéma est fermé. Entre deux aller-retour de droite à gauche, Thyl se fait raser par un barbier de rue et on nous offre le thé (JB, pour l'heure, n'aime pas le chai indien, thé au lait hyper sucré). Le soir, nous assistons à la fameuse cérémonie "Hare Krishna". Je dis fameuse en référence à la chanson de Renaud, "Marche à L'ombre", dont une partie des paroles nous restait obscures jusqu'à aujourd'hui. Incantations, prières (localement appelé mantra), tatouage sur le front de peintures ocres et rouges, chants et musiques (au goût local, assez loin de mes préférences), nous observons en silence jusqu'à 22h. Nous sommes ensuite invités à partager le diner avec toute la communauté, riz, dal (soupe de lentille), patate en curry et puri baji (pain frit) sont à l'honneur. Alors que je commençais à me lasser de ces plats (finalement la nourriture indienne du nord n'est pas si riche que ça), je les trouve très bon. Est-ce parce que c'est partagé? La place au coin du feu qu'on nous offre jusqu'à minuit est merveilleuse aussi. C'est donc le coeur léger, le ventre plein et le corps chaud que nous prenons notre train pour New Jalpaiguri.
Arrivée prévue à 6h (5h pour 200km), nous arrivons à 7h30, normal! Un petit dèj de biscuits dans les files d'attente de réservation de tickets de train. On réserve pour dans 3j un ticket pour nous rendre à Bodgaya, haut lieu du bouddhisme puisque c'est là que Siddhartha Gautama aurait atteint l'éveil et serait devenu Bouddha.
Patience... la queue est longue, le concept d'espace vital n'existe pas en Inde, on est collé serré (même lorsqu'on atteint le guichet, on est pressé par derrière), on est bousculé par la curiosité des uns et des autres, l'anglais des guichetiers est toujours très approximatif, avec un accent à couper au couteau qu'il faut en plus décoder à travers un micro qui crachotte, car ils sont barricadés derrière des vitres anti nucléaire... Patience et calme sont de rigueur. Et évidement, la guichetière/fonctionnaire ne veut pas remplir le papier, qui ne sert à rien car elle va tout rentrer dans l'ordinateur, passons. Finalement, nous avons deux tickets car il n'y a pas de ligne directe. Nous aurons un changement à Patna.
En réalité, nous n'avons qu'une réservation sur liste d'attente. Pour faire simple, on a des tickets mais on n'est pas sûr de pouvoir prendre le train. Ce n'est qu'au dernier moment que nous saurons si des places se sont libérées pour nous et si nous avons le droit de monter dans le train... Patience et calme...
En attendant dans trois jours pour savoir si nous pourrons continuer notre voyage, nous embarquons dans une jeep pour arpenter les contreforts de l'Himalaya (JB corrigera si l'appelation géologique est approximative) et atteindre Darjeeling, la très célèbre ville du Thé. Nous sommes devenus des grands adeptes du chaï et avons fini par convertir JB. Servit à chaque coin de rue et tous les quart d'heure dans le train, il nous hydrate, nous occupe et nous réchauffe. Et oui, en Inde, il fait frais l'hiver aussi et une boisson chaude est partout la bienvenue. Les indiens ne connaissant pas le concept de fenêtre fermée, d'isolation et encore moins de cheminée (je ne parle pas de radiateur), il fait la même température partout!
Je passe sur la conduite indienne que j'ai déjà décrit dans l'article précédent, mais sérieusement, celui qui a autorisé les indiens à conduire ne devait pas savoir ce qu'il faisait. Et surtout pourquoi n'ont ils pas des boites automatique? On rétrograde avant les virages, pas après... Mamamiiiia, j'appréhende déjà la descente.
Darjeeling, ville construite à flanc de montagne himalayenne, est très, disons... pentue! Le temps est au brouillard, c'est donc à chaque détour de nos pérégrinations, à la recherche de notre guesthouse, que ses dénivélations nous surprennent un peu plus à chaque pas. Eau chaude au baquet (avant 18h30), fermeture des portes à 20h, bienvenus dans le monde rustique de la montagne!
Entre camp tibétain, temple boudico-hindouiste où il faut marcher pieds nus alors qu'on se gèle, le zoo qui ferme tout le temps et le train à vapeur, on arrive tout de même même à se poser tranquillement à l'heure des repas, et entre temps à se réchauffer avec du chocolat chaud, un vrai, un bon, avec du vrai chocolat dedans et du lait (un truc de ouf, qui n'existe nulle part ailleurs en Asie orientale).
Le soir, c'est toujours la comédie à qui ose aller prendre sa douche (pour rappel, on est à 2000m, en janvier et sans chauffage ni isolation, et eau chaude au baquet), voir même pour certain, à seulement se déshabiller avant d'entrer dans le duvet...Côté cuisine, on découvre le Tsampa, le second plat tibétain après les momos (une sorte de raviolis). Il s'agit d'une pâte à crèpe non cuite (sans oeuf), quelle inovation :-) Le guide du routard parle plus gentiment de soupe de farine, mais bon, ça revient au même. Cela dit, abec beaucoup de sucre, du lait et du beurre, tout se mange, n'est-ce pas?
On mange quelques bons Thalis (plat indien de riz et légumes plus éventuellement des currys), et surtout, on se fait plaisir en s'offrant des pizzas cuisinées par un français (avec du fromage, mmmh, c'est bon le fromage).
Darjeeling oblige, on s'est offert une dégustation de thé (voir photo ci dessus). Ça nous a laissé perplexe. Les thés, tous verts, sont très légers (trop?) et ne nous ont pas franchement enthousiasmé. Le bon chai indien, au thé noir avec des épices, du lait et du sucre, nous ravi bien plus le palais.
Finalement, la redescente vers New Jalpaiguri se fit en douceur grâce à un chauffeur trop bon pour être indien. Comme il nous a été dit que Bodghaya n'avait que peu d'intéret, sauf à y vivre une retraite de méditation, nous décidons de rallier directement Varanasi (Benares). Nous avons tout juste le temps de faire changer le billet Batna-Bodghaya pour Batna-Varanasi avant de sauter dans notre train pour Batna. Il est 14h, on devrait arriver à 4h (500km). Nous arrivons à 5h passé.
Comme je m'en doutais, il y a un train pour Varanasi à 7h, bien plus tôt que celui que le guichetier nous a donné (11h). Il est trop tôt pour que le guichet des remboursements soit ouvert. Difficulté supplémentaire qui s'ajoute au manque de savoir vivre des indiens. Comme j'ai mal dormi, à cause du froid et d'une crise d'eczema, irritable, un mauvais bougre subi mon courroux.
On nous invite alors à acheter nos billets et à nous faire rembourser les précédents lors de notre arrivée. Ca fonctionne. Le train entre en gare de Varanasi à 10h50, ce qui me laisse 10 min pour faire annuler nos billets, Bingo!
Nous voila à Varanasi.
Son nom lui vient des deux rivières, la Varuna et l'Assi qui se jettent dans le Gange, au nord et au sud. La ville est aussi appelé Bénarès pour une raison qui me reste encore inconnue (historique?). C'est rare les villes qui ont deux noms bien distinct, Pékin/Beijing, Varanasi/Bénarès...?
Bénarès ne se visite pas nous dit Le Routard, Bénarès s'expérimente, se vit. Même pour le plus rapide et le plus blasé des touristes, Varanasi est une expérience singulière, plus qu'une visite parmi d'autres. En effet, Bénarès est LA ville indienne qui offre au visiteur un aperçu de la densité spirituelle qui anime la vie quotidienne des hindous.
Et pour cette partie, je donne la parole à mon frère qui a souhaité exprimer son ressenti.
Varanesi!
Ou Bénarès, car les colons anglais n’étaient pas fait pour prononcer correctement ce nom. Je me demande d'ailleurs, qui serait vraiment apte à exprimer proprement quoique ce soit à propos de cette cité. Chacun la vit différemment : les hindous y viennent pour se purifier dans le Gange, une bonne partie y vient même pour mourir ; les touristes sont curieux, ils repartent soit hébétés et les yeux pleins de magie soit déçus et fatigués du… trop ! On ne rate pas Varanesi, à chacun d’y vivre son passage.
Nous sommes arrivés par le train et nos premiers échanges de qualificatifs sont « dégueulasse » et « tas d’immondices » ! Évidemment, les abords du chemin de fer et l’arrivée sur la ville illustrent parfaitement le manque de traitement des déchets en Inde. On pourrait facilement remplacer une expression bien connue par « autant chercher une poubelle a Varanesi... ». A la descente du train, on se fait rapidement alpaguer par les chauffeurs de rickshaw, taxis et autres moyens de transport. D’après notre guide de voyage, ceux-là parlent trop bien l’anglais pour être honnêtes et ne nous emmèneront nulle part ailleurs que devant LA boutique où ils touchent une belle commission et pour un trajet au prix « exubérant » de 150 roupies (1,5$). Apres quelques échauffes, St Jean Baptiste nous assure un calme et un espace de conversation relatif grâce à ses coups de gueule plutôt efficaces (entre nous il ne faut pas hésiter !), nous montons dans un rickshaw qui nous emmène, pour 70 roupies, aux portes du Shawk, soit le dédale Varanesien, notre destination !
Bonjour fanfare de klaxons, déchets, bouses de vaches, odeurs nauséabondes… le coté repoussant de la ville saute aux yeux, pique au nez et chauffe les oreilles . Cependant, en compagnie de notre jeune guide qui nous dirige vers sa guesthouse, au travers de minuscules ruelles qui se divisent, rétrécissent, s’élargissent, se rejoignent, s’entrecoupent et disparaissent, nous commençons à découvrir autre chose et à « apprécier » ?
La guesthouse est idéale ; ici ils savent recevoir les voyageurs ou touristes que nous sommes. Nous occupons une cage a lapin certes mais pour un prix tout à fait convenable. Les vieux de la famille tenancière sont des professionnels de magie, je veux dire que bien qu’indiens, ils arrivent avec grande gentillesse et forte sympathie à nous faire avaler tout un programme de visite de la ville et gratuit de surcroit! Nous testons le restaurant sur le toit de l’immeuble, pas des plus fameux mais qui offre une vue superbe sur le Gange, les toits et la petite surprise du jour, des centaines de cerfs-volants qui célèbrent Makar Sankranti ou Uttaryan, la fête du vent. Commencerait on a ressentir Varanesi s’immiscer dans nos tripes ?
Le lendemain, nous visitons le Shawk en compagnie d’un des vieux oncles de la veille, temples, mosquée, maisons peinturlurées après mariages, vue sur le Gange, vaches et… on finit dans LA boutique de soie du labyrinthe. Ils nous déballent tout leur stock, toutes les étoffes sont plus belles, plus douces, plus chaudes les unes que les autres. Nous susurrons un nom confié par un autre oncle et avec 10% de remises nous repartons avec quelques beaux souvenirs. Et oui, c’est ça aussi Varanesi.
Le reste de la journée à tourner dans les ruelles ne fait que le confirmer. Il faut vite oublier la puanteur, la misère et la crasse pour s'intéresser à la vie grouillante, les lumières, les couleurs, les sons et les odeurs d’épices. Que de vie mes aïeux, que de vie et de tchatche !
Même la mort ici est vivante et bruyante. Il n’est pas pensable d’échapper aux nombreux cortèges funéraires qui abondent dans les venelles, à ces processions de plusieurs personnes qui crient, qui chantent, en emmenant des brancards fleuris et couverts de dorures à la crémation sur de grand buchets en bordure de fleuve. Quand ils passent, Hommes et vaches se bousculent pour leur faire place et « NE BOUSENT PLUS » !
Un matin, Natha et JB se motivent pour une sortie en bateau sur le Gange à 5h. Je parle de motivation car c’est carrément un sacré bon coup de pied dans le derrière qu’il m’aurait fallu pour me tirer du lit ce matin-là. Aller dans le froid et le brouillard, prendre le risque de toucher la surface du fleuve pour voir des centaines de personnes se baigner, se brosser les dents et avaler une bonne goulée du bouillon de culture qu’est le Gange. Je ne suis pas bégueule mais bien que pure spirituellement parlant, l’eau du Matra Ganda mériterait un bon coup de filtre, ne serait-ce qu’une épuisette pour enlever les cadavres flottant, les déchets biologiques de tout poil, plastiques et j’en passe…!
Un soir, un hindou, durant la cérémonie du don de lumière, a même essayer de me vendre un cadavre de poisson qui flottait le long de la rive et dont les ouies étaient obstruées par un quelconque amas de ficelles (pauvre bête).
Le spectacle les a marqué malgré tout et les photos à travers le brouillard parlent d’elles même. Thyl pourquoi n’a tu pas vaincu ta fénéantise cette fois-là ?
La cérémonie du don de lumière se passe sur les ghats principaux (escaliers aux grandes marches qui descendent vers le Gange) à la nuit tombée. Elle est exécutée par de jeunes brahmanes bien coiffés et tout en couleur, qui à l’aide de divers artifices (chandeliers, pétales de fleurs, statuettes de cobra crachant du feu…) saluent, à ce que j’en ai compris, Shiva, la Matra Ganda et Varanesi.
Un monde fou s’y réunit !
De petites embarcations en papier, fleuries, supportent des chauffe-plats et sont lâchées sur les eaux aux sons des cloches qui tintinnabulent sans cesse. Une occasion parfaite de râler après un religieux qui vous demande des roupies pour vous avoir béni et plâtré le front. (non mais! on avait rien demandé !) Bref un joli moment, encore et toujours extrêmement vivant.
Les jours d’après, nous nous goinfrons de lassis parfumés (miam, boisson à base de yaourt), nous déambulons a la recherche de temples cachés, d’épices et de trésors dans les magasins. Nous faisons la rencontre très sympathique d’un immense brésilien hindou, étudiant catholique (???!!). Habillé en chaussette et bonnet, il est venu faire du commerce en Inde. Il répond au nom tout aussi étonnant que le personnage : Gobi (comme le poisson). Il parle hindi, portugais et anglais. Il est venu a Varanesi plusieurs fois se purifier dans le Gange (et pourquoi pas l’Amazone ?). Il essaie de me convaincre que se réincarner plusieurs fois pour comprendre la souffrance est indispensable pour souffrir un bon coup, se libérer et atteindre le Nirvana. J’aime les légendes de l’hindouisme mais une certaine notion profondément spirituelle me fait gravement défaut…
Nous restons plusieurs jours à Varanesi, sans jamais avoir réussi à prendre 2 fois le même chemin pour sortir ou rentrer à la guesthouse.
Varanesi nous manquera !
Un peu seulement, car le Népal arrive, mais les gens, l’ambiance, la folie de cette ville m’a marqué pour longtemps.
Voir Venise et mourir, voir Varanesi et revenir !
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