Que je suis content de le revoir. Je n'y croyais pas vraiment à cette histoire. Pour la première fois de sa vie Pankaj prend des vacances, il sort du West Bengal, il prend le train pour une aussi longue distance (Kolkata-Delhi) afin de voyager avec moi à moto. Il a mis sa moto dans le train.
Nous nous couchons tôt car nous sommes tous crevés, demain nous partons pour un long périple à moto, et moi je sens la fièvre monter.
Le mardi 16, jour d'un grand départ, nous nous levons à 9h :-)
Je fais abandonner plusieurs choses à Pankaj pour alléger le sac que je vais porter (je suis passager). Il faut revoir l'attelage de la tente et du sac de couchage que Pankaj a tenu à emmener depuis Kolkata contre mon avis. Nous ne nous en servirons pas et les perdrons en route.
Nous sommes fin prêts à 12h et sommes sur l'autoroute en dehors de Delhi à 14h. Ce n'est pas grave, l'étape d'aujourd'hui est facile. C'est de l'autoroute, rapide, tout droit. Malheureusement, je suis malade et je demande à m'arrêter à peine 100 kms plus loin, à Karnal.
Pankaj trouve un Dharamsala (ce sont des hôtels "religieux", sans confort mais pas chers). Les lits n'ont pas de matelas, nous dormons sur des cordes tressées. C'est plus confortable qu'il n'y parait. Surtout, c'est imbattable en prix, 100 rupies pour deux! Le traitement ayurvédique n'étant pas fini, je dois un peu pimenter mon voyage en cherchant chaque matin et soir un demi verre de lait chaud... Pankaj a fait preuve de beaucoup de patience sur ce coup là.
Le matin, je n'ai plus de fièvre. A part la toux, je me sens bien. En route! On a du pays à visiter!
Nous roulons jusqu'à Shimla, à 228kms. Je (re)découvre les joies des longues distances à moto, cette fois en passager, avec un sac de 7kg dans le dos qui tire vers l'arrière. Sportif!
La route est très belle, tout en montée avec les pré-himalayennes en toile de fond. Quand je dis ça à Pankaj, il ne comprend pas. "Pré-himlayenne?, tu veux dire que ce n'est pas la montagne ici?" Pour lui qui vient des plaines, ces jolies collines ne pouvaient être que la montagne. Des gens du Massif central auraient peut être été d'accord avec lui, mais quand on est à la frontière de l'Himalaya, ces collines semblent bien plates. Je me souviens que Thyl et JB, après être rentrés du Népal dans les Alpes, ont trouvé leurs montagnes bien basses.Le soir, Pankaj part avec un gars qui le guide vers un hôtel pas trop cher pendant que je cherche à manger. Quand il revient, il me dit "l'hôtel est ok mais, tu sais, la route pour y aller, ben, elle est bien pentue. Pour la moto c'est pas évident". Je n'ai même pas remarqué la pente et j'ai bien rigolé ce jour là. C'est là que j'ai compris qu'il n'avait jamais apréhendé une pente avant. Il faut aller à la montagne pour s'y confronter. En plaine, ça n'existe pas et c'est difficile de se l'imaginer concrètement (à la télé, c'est pas pareil). Je me suis souvenu de mes premières expériences de pentes à ski, c'était pas simple au début, angoissant même.
Shimla, ancienne capitale d'été du gouvernement anglais, est une jolie petite ville de montagne, une aire de repos bien fraiche pendant l'été. Nous visitons notamment son vieux théâtre. Nous repartons l'après-midi pour Dharmashala. Comme nous partons tard et que la route est très sinueuse, et en mauvais état, nous nous arrétons à Ghaghas, après une centaine de kms seulement. Ce village est au croisement de 4 routes de chaque côté d'un pont. Le propriétaire de la confiserie du coin nous propose une chambre pas trop chère et nous prépare un dîner.
Le lendemain, après 150 km, nous arrivons à Dharamshala, la ville où le Dalai-Lama et le gouvernement en exil du Thibet ont trouvé refuge.
En fait, l'arrivée se fait en deux étapes, d'abord à Dharmshala le bas et puis, il faut grimper à Dharamshala le haut appelé poétiquement Mc Loed Gang. Ca grimpe sec pendant les quelques kms qui les séparent. Il y a 600m de dénivelé.
Nous trouvons une petite chambre très sympa conseillée par le célèbre guide français. Pankaj fait preuve de courage pour monter la moto dans la rue derrière l'hôtel. Cette fois, c'était bien pentu et le revêtement n'était pas bon du tout. Il m'impressionnera surtout pour redescendre la moto.
Pendant notre séjour ici, je fais découvrir à Pankaj la nourriture tibétaine et népalaise. Nous visitons le musée sur l'invasion chinoise au Tibet et l'occupation. Il projette un flm sur ce qui s'est passé en 2008 à Lhassa. Terrible, troublant, démoralisant, maudit soit le pouvoir de Beijing.Grace à mon histoire de lait chaud, nous devenons amis avec Sunnil, un jeune cuistot d'un petit resto de sous-sol. Tous les soirs, il prend soin d'un mendiant aveugle. Nous l'avons vu dans la journée du côté du temple. Un soir, il invite Pankaj à partager la bouteille (moi je ne peux pas, à cause de l'ayurveda). Ils sont saouls très vite, ils parlent fort, ils chantent, dans leurs langues donc je n'ai pas tout compris.
Nous faisons une petite randonnée jusqu'au col "Magic View". Pardon Pankaj, j'avais mal évalué la difficulté de la rando. Bravo, ça a été dur mais tu t'en es bien tiré. Ansi, pour sa première randonnée, il a grimpé 500m de dénivelé (montée/descente confondues), et il a marché plus de 6h (sans inclure les pauses). Nous ne pouvons malheureusement pas profiter de la vue magique car elle est bouchée par les nuages.
L'étape suivante, de 150 km, est très vallonée. La route hésite entre plusieurs rivières. Mandi, notre ville étape, est très compacte, étriquée, colorée avec une grande place au centre. Ce soir, il y a justement un concours de théâtre qui anime cette place. Cette nuit, c'est le Guru Dwara qui nous offre l'hospitalité dans un temple Sikh. Dans la religion sikh, ce sont les fidèles qui s'occupent de tout, la maintenance, le ménage, le service (et ils offrent donc hébergement et petit déjeuner). On peut donc voir de très chics voitures dans le parking et leur propriétaire, simplement vétu, vous servant le Dal (plat de lentille) dans la cour.
L'étape suivante fut longue, 200 kms pour rejoindre Chandigarh (en repassant par Ghaghas). Cette ville planifiée par Le Corbusier, a certes un aménagement urbain large, aéré, vert et moderne, mais n'a aucun charme. Le béton est brue, sans peinture, sale. C'est laid!
Nous partons en direction d'Haridwar. A midi, je n'en peux tellement plus de la position passager que je demande à conduire sa moto. Pankaj me félicitera plus tard sur ma manière de conduire très prudente. J'ai appris à utiliser les clignotants, à laisser des marges de sécurité quand je double, à anticiper et puis j'ai eu un bon prof de moto. Quelques kms plus loin, je dois faire face à un virage qui commence très ouvert mais se resserre sur la fin, signalé comme dangereux au milieu de la courbe (trop tard quoi). Je gére le camion fou qui roule sur ma voie dans le virage, je ne sais pas comment j'arrive à gèrer le sable du bas-côté et je m'en serais bien sorti si seulement il n'y avait pas eu un pont juste en sortie de virage (encore une fois non signalé) avec réduction de voie, la mienne évidemment. Je me suis donc retrouvé à percuter la balustrade du pont, à faible vitesse certes, mais quand même. Je ne saurais trop dire quand j'ai freiné dans tout ça. Malheureusement, j'aurais bien aimé percuter cette balustrade, sauf que je ne suis pas le premier à avoir cet accident (j'apprendrai que c'est même régulier) et de balustrade, ben il n'y en a plus. Donc la moto, ben plouf quoi! Et me voila à jouer à James Bond. Je me retrouve accroché au rebord du pont, les pieds dans le vide, sonné. Pankaj, lui, a sauté avant l'impact pour rester sur le pont.
En fait sonné, dans ces cas là, on ne le reste pas bien longtemps, le corps a inventé l'adrénaline pour nous sortir de ce genre de mauvais pas. Je trouve la situation tellement grotesque et ridicule que j'ai envie de rire. Avec l'aide de Pankaj je remonte sur le pont. Je hurle un long nnooooooooonnnn..... et puis meeeeeeerrrrrddeee!!!!! Pour moi, la moto est morte, et je ne sais pas quoi dire à Pankaj. Lui me prend dans ses bras et me dit : "le plus important c'est que nous soyons vivants. Avant toute chose, va voir le docteur pour te faire mettre des points de suture." Ah oui tiens, c'est vrai, je saigne. Je me suis ouvert le menton.
Je réalise qu'une énorme masse de curieux s'est amassée autour de nous (d'où viennent t-ils? que font-ils ici à cette heure? ne travaillent ils pas?). La police est là aussi. Elle m'emmène voir le docteur. Il veut me faire toutes les piqûres de la Terre, tétanos et compagnie. Je dis non. Je lui explique que je suis vacciné (c'est bien le seul vaccin que j'ai). Il me fait 8 points de suture et me facture 1000 rupies. Je réaliserai plus tard combien il a profité de mon état de choc. Si Pankaj avait été avec moi, ça n'aurait pas coûté 300.
Quand je reviens sur les lieux de l'accident, ils sont déjà en train de sortir la moto de l'eau avec une grue.
Incroyable! elle n'a rien! Je vous jure, tout juste un tout petit bout de carrosserie, le clignotant et le rétro avant droit (pourtant on roule à gauche en Inde, et elle est tombée sur le côté gauche, mystère). Ils voulaient la redémarrer tout de suite. Je les arrête. Elle a passé 2h30 dans l'eau. Il faut la sécher avant de la redémarrer. Pankaj la pousse jusqu'au village. Moi je découvre qu'en fait je me suis fait plus mal qu'une simple blessure au menton. J'ai pris un coup à la poitrine. J'ai du mal à respirer et quand je tousse, il y a du sang qui vient avec la glaire. Je ne dis rien à Pankaj pour ne pas l'inquiéter mais je vais en village en stop. Pendant que Pankaj s'occupe de la moto, je m'occupe de trouver un hébergement pour la nuit. Un gars m'invite à boire le thé chez lui. Il nous invite par la suite à dormir. Hindou, il est marié par amour à une musulmane. Avec Pankaj nous n'en revenons pas. C'est une histoire déjà incroyable en ville mais alors à la campagne comme ici, c'est normalement inimaginable. Il envoie sa femme dormir chez ses parents et partage son lit avec nous. Je comprends alors qu'ils ne vivent que dans cette petite pièce, pas dans toute la maison. Prenez une chambre étudiante universitaire française, vous la réduisez un peu, juste assez pour faire entrer un petit lit double et voila, vous avez une chambre, cuisine, salle de séjour fonctionnelles pour jeune couple indien.
Pankaj est venu ici en moto. Oui, elle a redémarré après 3h de séchage, de changement d'huile etc... J'ai vu le pot d'échappement jeter des gerbes d'eau et de boue. Je suis soulagé.
Malheureusement, le lendemain matin, l'invitation du gentil hindou se termine en pleurs. Je réalise que j'ai été volé. Je sais que c'est le frère de sa femme qui a fouillé dans ma pochette pendant que j'étais à la douche. Comme j'avais mal à la poitrine, c'est le seul moment où je n'étais pas allongé sur mon oreiller (ma pochette étant dessous), et il se trouve que Pankaj qui était dehors, téléphonait au même moment. Heureusement, pressé, il n'a pas pu fouiller à fond et n'a pris que 1500 roupies et un pendentif (dans une enveloppe, il y avait 100 dollars américains). Je préfère croire que mon hôte n'était pas dans le coup car il a réellement pleuré de honte, et c'est lui le premier à avoir accusé son beau-frère.
On repart doucement. Nous nous arrétons à Pouta Sahit pour faire les réparations nécessaires. Cela me coûte 2000 rupies. On fait le plein, même si nous l'avions fait juste avant l'accident aussi, à la pause-déjeuner.
Haridwar n'est qu'à 100 kms mais ils me paraissent bien longs. Chaque petite secousse, chaque nid de poule, chaque freinage, chaque accélaration résonnent dans ma poitrine et m'arrachent un cri de douleur. Je suis bien content d'arriver.
Haridwar est presque aussi sacré que Varanassi. C'est ici que le Gange démarre sa course en plaine. La fièvre religieuse y est tout aussi folle, un business incroyable! Nous trouvons un hôtel 3 étoiles qui offre des lits en dortoir pour les pélerins, à 100 rupies.
A 5h du mat, Pankaj va se baigner dans le Gange. Il prend avec lui une petite bouteille d'eau du Gange pour les cérémonies à venir. Je ne tousse plus et ne crache plus de sang.
Nous partons à 6h, l'idée étant d'arriver suffisamment tôt pour que je puisse récupérer mon passeport avec le visa iranien.
Surprise! Quand nous arrivons à l'autoroute, alors que la jauge indique encore 1/4, la moto s'arrète net. Panne sèche? Heureusement, nous nous trouvons à 20m d'une station essence. On fait le plein mais rien a faire, la moto ne démarre plus. Pankaj la pousse jusqu'à un garagiste. Il démonte le réservoir, le vide dans un sceau et surprise, il y a plein d'eau dedans. Ce n'était pas une panne sèche mais une panne humide. Merde! Là, c'est grave. Pas sûr que le moteur redémarre si il a bu trop d'eau. Je m'en veux de ne pas y avoir pensé et j'en veux aux deux mécanos de ne pas l'avoir suggéré. Comme le réservoir était plein lors de l'accident, peu d'eau a pu entrer. Pendant la nuit, ça a décanté, l'essence étant plus dense, l'eau s'est mise en surface. Au deuxième plein pareil, mais quand on est arrivé vers la fin du réservoir, le liquide devenait petit à petit plus concentré en eau, et le moteur s'est noyé, littéralement. Le mécano sèche tout, vide tout et remplit le réservoir d'essence. La moto nous donne quelques frayeurs en refusant de démarrer les trois premières fois, mais ouf, vroum, elle repart. Increvable!
Nous arrivons juste à temps pour que je puisse récupérer mon passeport avec mon visa.
A moi l'Iran! Je vais maintenant pouvoir demander un visa de transit au Pakistan.
Paras ne peut pas nous héberger. Après une petite visite de Delhi, nous allons chez un ami de Pankaj pour la nuit. Nous repartons le lendemain pour Kolkata afin d' assister au festival de Durga Puja (une grande fête religieuse). On me passe un baume pour mes douleurs de poitrine. Magique, le lendemain c'est envolé! Heureusement d'ailleurs car nous avons de la route. Nous espérons trouver un camion qui accepterait de prendre la moto en stop (contre rémunération bien sûr) mais moi je n'y crois pas trop.
Pour voir plus de photos, cliquez sur Shimla, Dharamshala, Mandi, Chandigarh et Haridwar.
Pankaj a réalisé une petite vidéo de notre escapade. La voici :
Commentaires
Dis moi, la moto, c'était une Honda non ?
Tu m'avais déjà raconté cela de vive voix mais j'en apprend encore un peu plus avec les détails que tu donnes dans l'article, plus les photos, c'est vraiment impressionant que tout se soit terminé aussi bien pour vous et pour la moto après cette chute dans la rivière!
J'ai beaucoup aimé cet article, plein de sensations fortes !
On en veut encore !!
Très prenant aussi l'histoire de Pankaj qui découvre les collines et les montagnes pour la première fois de sa vie, avec des yeux d'enfants en quelque sorte. Très beau.
Ecris nous les prochains articles rapidement !
L'Inde me passionne toujours autant et j'aime la facon dont tu la découvres, dont tu la vis et la racontes.
@beau sari : Un tel enthousiasme fait plaisir. Il arrive très bientôt
On se rend mieux compte de la profondeur de la rivière sous le pont de l'accident, et là on se dit que c'est vraiment un miracle que vous ne soyez pas tombés avec la moto, et que la moto, elle, n'ait rien !! Incroyable !
Quelle aventure quand même... J'imagine que ca a du vous souder toi et Pankaj, une expèrience pareille.
Qu'en est-il de son visa pour l'Europe et de ses projets ? Tu gardes contact avec lui ?
Et toi, ou es-tu en ce moment ? Est-ce que tu souffres de cette vague de chaleur extrême qui s'abat sur l'Iran ?
Ses projets de visa pour l'Europe sont quelques peu bousculer pour des raisons un peu bète mais il s'accroche.
Je vais lui dire que tu as apprécié sa vidéo.
Je suis toujours en Jordanie, je m'envole pour Mashhad le 13 (cette option était 100 € moins cher que de voler Téhéran ou Dubaï plus le bateau, tout juste un peu moins cher que de voler vers Istanbul). J'ai vu ça comme un signe prometteur pour cette année à venir à Mashhad.
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