Le dimanche 7 décembre, je reprends la route vers l'ouest, vers Tabriz. Je me rapproche de la Turquie et de l'Arménie car si mes parents n'obtiennent pas leur visas, nous nous retrouverons dans l'un de ces deux pays.
Ca commence plutôt bien avec deux sessions de stopautomatic, c'est à dire des gens qui se sont arrétés pour me prendre alors que je marchais sans tendre le pouce.
Le troisième stopautomatic est un peu différent car je marchais en direction de l'université en compagnie d'un étudiant. Le conducteur s'est arrété pour l'étudiant, pas pour moi.
Une camionnette m'emmène ensuite jusqu'à Chalus. La discussion porte très vite sur le sexe, la prostitution, l'homosexualité, la misère sexuelle en Iran, quoi. C'est un sujet qui reviendra souvent à l'avenir. L'Iran est plein de tabous, les Iraniens en ont moins (sauf la minorité religieuse bien sûr !).
Je marche jusqu'à la sortie de la ville où je me fais alors embrouiller par un conducteur. Je ne sais pas encore comment dire "gratuit" en farsi (autre mot pour la langue iranienne ou perse) alors je lui demande s' il n'est pas taxi, en anglais. Il confime plusieurs fois qu'il n'est pas taxi. Pourtant, plus tard, alors que je lui explique mon mode de voyage, il me demande combien je vais payer. Quand il comprend la mésentente, il s'arrête pour prendre d'autres gens sur le bord de la route, ce qu'il ne faisait pas avant. Comme je n'ai pas encore dépensé un centime dans ce pays, je n'ai aucune idée du prix du taxi, je lui dis de prendre ce qu'il veut dans les billets que je lui tends. Il prend 20.000 tomans (en taxi partagé, cela aurait dû être plutôt 10.000, mais en taxi privé 40.000). Il me dépose à Tonekabarn.
Un camion m'emmène jusqu'à l'intersection sur la route principale pour Rasht. Avec l'aide d'encore une voiture et un camion, je comble les derniers 10 kms. Il est tard, déjà. Je prends un taxi partagé pour me rendre chez mon hôte. J'arrive chez Maziar à 20 h.
Petite parenthèse sur la monnaie iranienne. Le nom officiel est le Rhial qui a une certaine valeur. Le nom d'usage est le Toman qui a une valeur 10 fois supérieure. Ainsi, 1000 T valent 10.000 R. Les billets, les pièces, et même les prix officiels sont en R (dépot bancaire, prix du visa, inscription à l'université...). En revanche, tout le monde s'exprime en T et les prix dans la rue sont écrits en T. Je ne parlerai donc qu'en T.
En décembre, 1 € valait 4000 T. Quand j'ai quitté l'Iran en mars, 1 € ne valait plus que 3300 T. Merci la BCE et sa politique de dévaluation monétaire.
Je venais donc d'arriver à Rasht, chez mon nouvel ami Maziar. Il m'indique ce qu'il y a à visiter dans le coin. Un ami vient dîner avec nous ce que Maziar a préparé. Maziar cuisine bien.
Le lendemain, je me rends à Masoleh à l'aide de trois taxis partagés. C'est un joli village traditionnel coincé entre des collines. C'est un beau paysage de carte postale. Un vieux monsieur m'invite à venir boire le thé. Il m'explique que le mois dernier, il voyageait avec sa femme et son fils en Italie (il me montre des photos). Leur fils a continué le voyage. Il est en France maintenant. Ils l'appellent et me présentent à son fils qui vit du côté de Dunkerque. Ils m'invitent à partager leur déjeuner avant de me laisser continuer la visite de ce joli village.
Sur le retour, je m'attarde un peu à Fouman pour goûter la spécialité locale, des biscuits aux noix.
Nous dînons tôt avant d'aller chez des amis. Ces derniers sont athés. Sur leurs murs sont pourtant accrochés des symboles de nombreuses religions différentes. Marie-Jeanne et la boisson belge (car c'est la meilleure, mais ici elle n'est pas belge bien entendu, elle est maison) sont au rendez-vous ! Et oui, plus j'avance en Iran et plus je découvre la dichotomie entre les règles (la loi) et les libertés (la réalité).
Ce soir, c'est la réunion mensuelle de TWAM! J'apprends que mon ami Pankaj a gagné le marché pour réaliser la version 2.0 du site. Je suis bien content. On rigole bien car on s'y perd un peu entre qui est membre à l'AG, au CA, au comithé d'éthique et les participants des réunions mensuelles...
Pour mon dernier jour à Rasht, je vais visiter le Château médiéval RudKHan. Pour cela, j'emprunte presque le même itiinéraire taxi que la veille (le troisième taxi est différent). Il y a ensuite une petite randonnée d'1h qui grimpe bien pour arriver aux ruines du château, en très bon état. Comme j'arrive tôt, je suis seul pour profiter de ce coin de nature qui abrite une part de l'Histoire (que je ne connais pas).
L'après-midi, Maziar m'emmène au musée d'Histoire du monde rural. C'est un ensemble de maisons qui ont été trouvées, démantelées, transportées depuis leur village d'origine et réassemblées ici. Les objets à l'intérieur ont été achetés à leurs propriétaires ou aux voisins. C'est très intéressant, surtout pour se rendre compte que l'Iran et l'Europe partagent une histoire et une culture rurale décalées certes, mais très similaires.
Pour partir vers Ardabil, j'emprunte de nouveau les même deux premiers taxis afin de rejoindre la grand route. J'attends une vingtaine de minutes avant qu'un camionneur m'emmène. Il va lui aussi à Ardabil. Il va même jusqu'à Tabriz mais je préfère voir ce qu'Ardabil me réserve. Le camionneur appelle Hamed, un CSer, pour lui fixer un rendez-vous. Je dois l'attendre à un carrefour, près de la station de police.
Si l'air de Rasht était doux (bord de mer), Ardabil étant dans une plaine montagneuse, est battue par un vent froid qui vous gèle le sang. L'attente est glaciale. Heureusement, des gars dans une voiture m'invitent à attendre mon ami au chaud, avec eux.
L'arrivée sur le plateau d'Ardabil est magnifique. En revanche, la ville fait penser à une ville soviétique délabrée.
Hamed m'emmène déposer mes affaires chez son cousin parti faire son service militaire, avant de marcher en ville. Il me fait découvrir une pâtisserie traditionnellle à base de blé écrasé, de canelle et de noix de coco. Nous retrouvons des amis pour aller jouer au babyfoot.Une connaissance à lui, Kevan, vient se joindre à nous et m'invite à dormir chez lui. Hamed ne pouvant pas m'héberger, j'aurais du rester chez son cousin. J'accepte, d'autant plus qu'il est musicien et m'invite à une répétition chez lui ce soir. Il joue du santour. Ce soir, seul le violoniste vient répéter avec lui. La répétition est extra. Le santour est normalement réservé exclusivement à la musique traditionnelle. Ils veulent l'adapter à la musique classique.
Noël approche, mes parents se rendent à l'ambassade d'Iran à Bahrain. Nous sommes toujours dans l'attente du MFA mais ils ne peuvent plus attendre... A l'ambassade, ils étaient d'accord pour délivrer un visa à mes parents, même sans le MFA, et le jour même en plus, si seulement ils avaient le tampon d'entrée à Bahrain dans leur passeport normal (mais venant d'Arabie, ils ont dû utiliser le passeport de service). Grrrr...
Ils vont essayer en passant par une agence de voyage à Ryad, la capitale d'Arabie Saoudite.
Kevan tient absolument à m'emmener dans une piscine chauffée, alimentée par une source d'eau chaude, de la ville voisine (8kms). Il tient surtout à me faire dépenser 45.000 T pour me faire remplir son réservoir d'essence (pourquoi autant pour 8kms ?). Finalement, pour une raison inconnue, nous n'aurons pas le temps de rester dans la piscine, comme par hasard ! Il me fera une scène parce que j'ai pris une minute pour prendre une photo... Le matin, il m'a fait jouer le rôle d'un gars intéressé par son groupe pour se faire mousser devant son sponsor. Je vous passe les détails qui me font dire que c'est un paranoïaque et donc un mythomane (ça va toujours avec). Je ne reste qu'une nuit de plus car dans l'immédiat je ne sais pas où aller, mais le lendemain matin, je prends mon sac avec moi quand je pars avec un groupe de rando.
J'ai été invité par une fille de CS, Nassin, à venir randonner avec son groupe. J'ai rendez vous avec eux à 05h20 du matin. Heureusement, je peux laisser mon gros sac dans le bus. Toute la journée, pendant toute la marche, les gens veulent parler avec moi et prendre des photos. Jusqu'au déjeuner ça monte, d'abord doucement en suivant un chemin bien boueux, coupé de temps à autre par une rivière qu'il nous faut traverser, puis plus sèchement par des petits sentiers, jusqu'aux alpages. La redescente ne se passe pas trop bien car nous nous perdons dans le brouillard. Nous retrouvons le bus à 21h30. Nous sommes tous couverts de boue!
Nassim est étudiante en anglais en master et déjà prof. Elle envisage d'émigrer en Turquie pour y trouver une meilleure paye et étudier la diététique. Dans le groupe, un jeune gars tout habillé de jaune s'est introduit en disant "I love you yellow". Il nous a bien fait rire.
Un des vieux du groupe nous donnait réulièrement du baume au coeur avec ses chants perses et turques. Il arrivait à faire comme des trémolos dans sa voix.
Bahi, le vétéran du groupe, 68 ans, qui parle un très bon anglais, m'invite à rester chez lui et à assister demain à une cérémonie religieuse très importante dans la région. Nous arrivons chez lui à minuit. Le temps de laver les chaussures, les vêtements, de prendre une douche, de diner et de discuter, il est 3h du mat quand nous allons nous coucher.
Il a été dans l'aviation pendant 23 ans et a pris sa retraite il y a 22 ans. Il a alors démarré, avec des partenaires, une entreprise de fabrication de pavés. Il s'y emploie comme jardinier, traducteur et homme à tout faire. Il est toujours marié mais il vit séparé de sa femme depuis quelques années déjà. Il a trois filles, des ingénieurs et prof d'anglais. Il me confie qu'il a fait un court séjour en prison l'année dernière après avoir protesté dans la rue contre l'inflation.
Avant de sortir assister à la cérémonie, je pose des questions à Bahi sur l'avant révolution. Il admet qu'il supportait la révolution au début contre le Shah mais qu'il a compris que ça tournait mal avec la guerre et la prise de l'ambassade américaine. Aujourd'hui il regrette et pense que l'Iran a perdu au change. Il est devenu plutôt réformiste et ne croit pas aux révolutions (toujours violentes).
Aujourd'hui, pour l'anniversaire de la mort de l'Imam Hossein, les iraniens religieux (et plutôt dans cette région d'Iran) se remémorent les tragédies que cette personne a traversé dans sa vie. Bahi n'aime pas ce genre de cérémonie qui occupe l'esprit des gens avec des futilités. Les rues sont vides, tous les magasins sont fermés (c'est un jour férié). Par contre, la place principale est bondé! Des groupes défilent avec un leader qui chante l'histoire de la fin de cet Imam. L'histoire est répétée et répétée encore toute la matinée. La foule pleure aux échos des larmes du chanteur, pour témoigner leur chagrin et leur amour à cet Imam (mort il ya plus de 1000 ans, passons). Et je vous assure, certains pleurent à chaudes larmes.Bahi m'invite ensuite à visiter le mausolé du Sheikh Safi ad-Din. Bahi me raconte les petites hsitoires qui ne sont pas mentionnées (car désobligeantes pour certains leaders musulmans d'antan).
C'est magnifique, à ne pas rater!
Il me montre aussi le bazar. C'est très étrange de voir ce lieu qui doit être si animé en temps normal, être complètement vide et silencieux, comme abandonné.
Enfin, avant le déjeuner, Bahi me montre une vieille mosquée qui fut une église et même un temple d'une plus ancienne religion encore, du temps de la Perse. Il est désolé que son pays abrite plus de mosquées que d'écoles et d'établissements de santé combinés. Il est désolé que ses compatriotes dépensent autant d'argent dans la religion.
Je pars ensuite, en bus, à Tabriz. Je rencontre Hossein, mon nouvel hôte CS sur la place centrale en milieu de journée. Il est étudiant en informatique et tient aussi un magasin de vente de revêtement intérieur (parquet, mur, plafond...). Il vit à la limite de la ville, en colocation.
Quand je veux me rendre au centre ville le matin pour visiter, les conduteurs du bus m'invitent à m'asseoir devant avec eux. Ils partagent leur petit déjeuner le premier jour, le second jour, c'est moi qui ammène le pain et le fromage. Mes trajets en bus sont gratuits :-)
Je visite d'abord le plus grand bazar intérieur du monde. Il est très bien restauré. J'adore cette ambiance des petites échoppes partout, l'impression qu'on peut tout trouver, le monde qui s'agite et va dans tous les sens (mais sans l'oppression de la foule indienne).Je me rends ensuite à la mosquée bleue (qui ne porte de bleu que son nom, ou presque). J'y rencontre le jeune Tohid Meh, un ingénieur en informatique qui s'intéresse à l'Histoire et l'architecture. Il aime surtout rencontrer les étrangers et pratiquer son anglais. On s'entend bien et il me demande si il peut m'accompagner pour mes visites. A la mairie, il découvre alors avec moi une exposition d'outils du passé et une expo de tapis. Je n'avais jamais vu un aussi grand tapis de ma vie. Il a fallu 60 personnes travaillant à temps plein pendant 7 ans pour le réaliser. Tohid me montre ensuite les ruines d'un château. Il est très en colère contre son gouvernement qui ne prend pas soin du patrimoine et laisse tomber ces pièces historiques et culturelles à l'abandon. Nous mangeons dans la rue. Nous discutons de la mixité, du voile.
Il voulait me montrer un parc, sauf que dans le bus nous rencontrons son prof d'anglais qui nous invite à venir discuter avec les élèves.
Pour passer la sécurité à l'entrée sans autorisation, j'enfonce mon bonnet sur ma tête, cache mes cheveux, je rentre le cou dans ma veste et je les laisse parler entre eux en azéri (langue locale proche du turc) en faisant semblant d'être intéressé par la conversation.
J'anime le cours d'anglais pendant 2h. Je me suis présenté birèvement. J'ai surtout répondu aux questions les plus diverses et variées que vous pouvez imaginer, sur la France, les habitudes, sur le monde, la politique, les religions, l'énergie, le nucléaire, le voile, la laïcité. C'était très ouvert et tolérant.
Le lendemain, je me rends à un village voisin, Kandavan, en bus et stop (partiellement payant). Le paysage ressemble étonnament à la Cappadoce. Sauf que cette fois, c'est sous la neige. Sur le retour, je suis pris en stop par un Kurde.
L'option agence de Riyadh n'a pas fonctionné non plus. Mes parents m'ont demandé s'ils pouvaient me retrouver en Arménie.
Je pars donc le jour suivant, le mercredi 17 décembre, de Tabriz pour me rendre à Yerevan. J'ai deux jours pour m'y rendre si je veux les accueillir.
Un camioneur m'emmène jusqu'au terminal des camions. De là, je trouve un autre camioneur qui m'emmène (en taxi, je n'ai pas dû tout comprendre) jusqu'à la ville suivante. Grossière erreur de débutant. Je me retrouve en centre ville et je galère pour en sortir et retrouver la voie rapide. Heureusement, un jeune étudiant , Mehran Nasseri, me prend en stop pour m'y emmener. Il décide même au dernier moment de m'emmener jusqu'à Julfa, la dernière ville d'Iran. S'en suit une longue route solitaire de 57 km le long de la frontière d'Azerbaïdjan pour rejoindre le poste frontière arménien. Par chance, nous doublons un camion arménien à qui je fais de grands signes. Il s'arrête et accepte de m'emmener. Mehran m'invite à rester chez lui la prochaine fois que je repasse dans la région. Pourquoi pas. Je pourrais alors découvrir l'ambiance d'une famille très religieuse.
Le passage de frontière est un peu long car pour la première fois en 3 ans, les douaniers, quand j'entre en Arménie, fouillent mon sac.
Ils ont trouvé plutôt douteux l'enveloppe de papier craft qui contenait les deux derniers comprimés de médecine ayurvédique. Je les ai fait jeter.
Une fois sortie, c'est un Iranien qui m'emmène jusqu'au premier village Arménien, Meghri. Barev l'Arménie (Bonjour l'Arménie).
Pour voir plus de photos, cliquez sur Rasht, Ardabil ou Tabriz.
Commentaires
Combien de temps as-tu passé en Iran au total ?
ps: et quelle galère pour tes parents avec ce visa iranien qu'ils n'arrivent pas à obtenir, décidemment... :-(
Heureusement cette fois vous aviez prévu le coup et anticipé les problèmes, bien vu !
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